Cet article invite à se questionner sur :
- la violence éducative ordinaire ;
- les relations entre adultes et enfants ;
- la réouverture progressive des établissements scolaires et certains enjeux humains qui lui sont associés.
Je m’interroge…
Depuis 2004, le 30 avril est marquée comme étant la journée mondiale de la non-violence éducative. Ces dernières années le travail de nombreuses associations et nombreux.ses professionnel.les dont je fais partie s’est articulée autour de la sensibilisation aux méfaits des violences physiques et psychologiques envers les enfants.
Depuis le 2 juillet 2019, les enfants sont désormais protégés en France par une loi interdisant envers elles.eux toute forme de violence physiques et psychologiques. Exit donc les fessées, tapes sur les mains, mises au coin, menaces, chantage et autres formes de punitions.
Ces méthodes sont désormais interdites car, au-delà de leur aspect nocif sur la santé et l’épanouissement des enfants, elles font de l’enfant un objet de la relation éducative.
En plein confinement ce jour du 30 avril 2020, ayant à l’esprit la note publique du Conseil scientifique COVID-19 datée du 24 avril dernier, je m’interroge. Les recommandations initiales de ce même conseil étaient de maintenir les établissements éducatifs et pédagogiques fermés jusqu’en septembre. Comme il est précisé dans cette note du 24 avril, tenant compte des enjeux sanitaires, sociétaux et économiques, le gouvernement à fait le choix d’ouvrir progressivement les crèches, écoles, collèges et lycées.
Je m’interroge.
Je m’interroge sur les enjeux humains.
Quel sens y a-t-il pour un.e enfant de 3 à 36 mois à retourner dès le 11 mai en crèche, plusieurs heures par jour, pendant une durée à ce jour indéterminée, pour y être accueilli.e par un.e adulte professionnel.le de la petite-enfance dont il.elle ne verra que la moitié du visage ?
Quel sens y a-t-il pour un.e enfant de 3 à 10 ans à retourner dès le 11 mai à l’école primaire, plusieurs heures par jour, pendant une durée à ce jour indéterminée, pour y être accueilli.e par un.e adulte enseignant.e dont il.elle ne verra que la moitié du visage ?
Quel sens y a-t-il pour un.e adolescent.e de 11 à 15 ans à retourner dès le 18 mai en collège, plusieurs heures par jour, pendant une durée à ce jour indéterminée, pour y être accueilli.e par des professeur.es adultes dont il.elle ne verra que la moitié du visage, tout en étant contraint.e de porter un masque et de côtoyer des camarades masqué.es ?
Quel sens y a-t-il pour un.e adolescent.e de 15 à 18 ans à retourner dès le 2 juin au lycée, plusieurs heures par jour, pendant une durée à ce jour indéterminée, pour y être accueilli.e par des professeur.es adultes dont il.elle ne verra que la moitié du visage, tout en étant contraint.e de porter un masque et de côtoyer des camarades masqué.es ?
Au delà de la nécessité évidente des gestes barrières, n’y a-t-il pas là quelque chose de violent que nous nous préparons à faire subir aux enfants ?
Si l’idée principale de ce retour en collectivité était la continuité éducative et pédagogique, on pourrait s’interroger en outre sur le fait que ce quelque chose de violent entre dans le domaine de la violence éducative ? Puisque ce retour en collectivité n’est envisagé que sur la base du volontariat, on peut peut-être espérer d’éviter que ce quelque chose de violent ne devienne une violence éducative ordinaire ?
Comme je ne crois pas un instant à l’argument de la continuité pédagogique, je m’interroge encore.
Quel sens y a-t-il pour tous.tes ces professionnel.les, ô combien investi.es et engagé.es soient-ils.elles dans leurs tâches éducatives et pédagogiques, à accueillir tous ces enfants, durant plusieurs heures par jour, pendant une durée à ce jour indéterminée, tout en ayant le visage masqué ?
Je m’interroge.
La plupart des enfants seraient à n’en point douter ravi.es de retrouver leurs camarades. La plupart des adultes professionnel.les ravi.es de retrouver les enfants, l’inverse très certainement aussi. Les imaginer le faire le visage masqué est tout autre chose.
Alors je m’interroge encore sur les gestes barrière.
Puisque les enfants en bas ou jeune âge sont considéré.es comme étant celles.ceux qui potentiellement auraient le plus de mal à apprendre les gestes barrière, pourquoi commencer par ouvrir à nouveau ces établissements en premier plutôt que les collèges et lycées ?
Pourquoi dans cet ordre, et dans quel but, puisqu’on invite en même temps les adultes à poursuivre le télétravail lorsque c’est possible ?
Je m’interroge.
Ce virus serait-il en train de mettre en lumière le rôle véritable, premier, de tous ces établissements, à savoir : garder les enfants pour que les adultes puissent aller travailler ?
Je m’interroge. Sérieusement.
Ce virus a cruellement mis en lumière que nous traitons de façon indigne un grand nombre de personnes âgées, mises en collectivités pour attendre la mort.
Ce virus a aussi mis en lumière que nous traitons de façon indigne toutes les personnes, dans une très large majorité des femmes, celles qui aujourd’hui font tourner le monde et assurent les rôles essentiels à notre société.
Ce virus serait-il en train de mettre en lumière que nous avons traité, traitons encore et semblons vouloir continuer de traiter les enfants comme des objets qu’on dépose à l’école pour que d’autres adultes les gardent ?
Je m’interroge.
Certains, pour se donner bonne conscience et tenter de trouver du sens, pourraient soulever l’idée de venir en aide aux élèves déjà en difficultés auparavant, et peut-être plus que jamais en difficultés aujourd’hui. Ces enfants dont les parents sont parfois, trop souvent, aussi celles et ceux qui ont été et sont encore aujourd’hui au travail, sur le terrain. Je sais, pour travailler depuis plus de dix ans au sein de différents programmes d’éducation prioritaire, combien le lien de confiance avec ces enfants est crucial et combien l’accompagnement individualisé ou en petit groupe sur le long terme peut être déterminant pour nourrir ou retrouver le goût d’apprendre. Je sais aussi combien le lien de confiance avec ces familles est lui aussi crucial et important. Ces enfants ont une dignité et ne sauraient servir d’arguments pour justifier une reprise qui dans les conditions actuelles semble ne pas faire sens.
Je m’interroge donc toujours.
Dans le même temps, les parcs et espaces verts resteront fermés jusqu’à nouvel ordre. Or c’est peut-être justement de cela dont nous avons besoin : un peu de verdure et quelques sourires…
Pour cela il faudra attendre encore…
Alors je m’interroge.
Voilà 20 ans qu’en tant que père, professeur, éducateur, formateur, je m’interroge sur les relations entre adultes et enfants.
Aujourd’hui encore, je m’interroge… jusqu’à quand nos contradictions seront-elles soutenables ?
© David Dutarte, Responsable Familylab France
Note du Conseil scientifique COVID-19 datée du 24 avril 2020.
Le calendrier du déconfinement par secteur (Le Monde, 28/4/2020)